Le fait qu'on ne permette qu'aux femmes de porter des robes est une injustice de l'histoire - l'homme est le grand perdant de la mode. De Tillmann PrüferOn permet beaucoup aux hommes aujourd'hui, mais pas de porter des robes. Non parce que ce serait interdit par la loi. C'est juste complètement impossible. Une telle scène est du moins troublante. Un homme en robe a toujours besoin d'un cadre qui le rende acceptable. Un théâtre avec des spectacles de travestis ou un enterrement de vie de garçon. Autrement, une robe est considérée comme une infraction aux règles.

C'est une grande injustice. Mais contrairement aux femmes qui, se sont défendues parfois avec véhémence, contre le fait que la société leur imposait des normes vestimentaires, les hommes n'aspirent pas à pouvoir porter des robes ; pourquoi en réalité ne le font-ils pas ? Il n'y aurait quasiment rien de plus adapté aux besoins des hommes ; un vêtement d'une seule pièce, que l'on passe sur les épaules - et avec laquelle on est alors complètement vêtu. Dans la culture occidentale, les hommes n'en ont pratiquement pas. Sauf peut-être le bleu de travail. Mais personne ne fait cela : le matin, se glisser rapidement dans un bleu de travail, pour aller chercher des petits pains à la boulangerie. Si les hommes avaient l'équivalent de la robe, ils l'utiliseraient largement.

Mais la robe est réservée uniquement à la femme. Elle est associée à tout ce qu'on peut trouver fascinant chez les femmes. Aucun vêtement ne s'harmonise aussi immédiatement avec le corps, aucun vêtement ne présente mieux celle qui le porte, tout en la voilant. Si on voulait voir la mode comme un langage, la robe est serait le poème. Elle est affranchie de toute utilité, une robe ne réchauffe pas, elle ne protège pas de la pluie, et parfois elle n'est même pas confortable. Une robe n'est pas seulement un vêtement, elle est le message pur. Une robe peut être excitante ou apaisante, montrer l'ardeur ou la distance ; dans une robe, une femme peut se mettre en évidence ou se cacher. Si une femme place côte à côte ses robes, elle a devant elle la galerie de tous ses états d'âme et sentiments. Le styliste Wolfgang Joop a dit une fois qu'il trouvait qu'une robe parfaite ne devrait être portée qu'une soirée et devrait se désagréger ensuite. Parce qu'après le spectacle, tout serait dit et que l'on ne devrait pas se répéter.

Avec l'acquisition d'une robe, une femme peut se faire à elle-même une promesse. Elle achète une robe et a, grâce à elle, une hypothèque sur son propre avenir. Peut-être qu'elle n'est pas encore la femme qu'elle aimerait être. Mais elle a déjà la robe que porterait cette femme. C'est-à-dire qu'une robe exprimerait la personnalité d'une femme. Peut-être n'est-ce que la moitié de la vérité. En s'habillant, on a d'abord accès à une personnalité propre. L'achat d'une robe, l'essai et la comparaison, sont comme un soliloque. Voilà pourquoi c'est si compliqué. Une femme doit en même temps faire face à elle-même et réfléchir sur elle-même. L'homme reste à côté et ne comprend pas. Tel est le sort de l'homme moderne. S'il s'agit de s'habiller soi-même, les femmes jouent sur toute l'étendue du clavier, du La le plus grave jusqu'au Do 5, alors que les hommes peuvent être très contents, s'ils parviennent tout juste à l'échelle sonore du petit Hans.

Les femmes sont en majorité exercées à communiquer dans la langue des vêtements. Les hommes ne le sont pas. C'est une culture technique à laquelle ils ont à peine accès. La seule raison pour laquelle les hommes ne râlent pas en étant vexés est qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont défavorisés. Ils sont simplement heureux parce qu'ils doivent acheter moins de fringues. Mais c'est à peu près la même chose que si quelqu'un au restaurant, ne pouvait pas lire la carte des vins et était alors toujours satisfait de boire la même bière.

D'où vient alors exactement que les hommes ne portent pas de robes ? Les temps étaient différents autrefois. Pendant des millénaires, les hommes et les femmes ont porté le même genre de vêtements. C'est seulement depuis 700 ans que nous utilisons un vestiaire séparé. Dans l'ancienne Egypte, dans l'antiquité romaine et encore au début du Moyen Age, les hommes et les femmes portaient les mêmes vêtements. Les distinctions importantes dans les vêtements se faisaient entre les positions sociales élevées ou basses. Et non entre les hommes et les femmes. Le vêtement faisait le tour du corps, le pantalon n'avait aucune perspective. Certes, il y a eu très tôt des vêtements de jambe semblables aux pantalons. Ceux-ci étaient principalement conçus pour être plus à l'aise à cheval. Les Romains et les Grecs ont rejeté la mode germanique et gauloise pour les jambes comme n'étant pas civilisée. Les « pantalons barbares » étaient encore si choquants à Rome à la fin du 4ème siècle qu'un décret impérial avait établi une peine pour le port des pantalons. Au 16ème siècle encore, Holbein a fait un portrait de Henry VIII, le souverain Tudor, dans une tenue Renaissance que l'on appellerait aujourd'hui une robe chemise avec des leggings.

Au cours du 18ème siècle, la bourgeoisie s'est opposée à la noblesse - et cela aussi eu des conséquences pour les vêtements. Le style de l'aristocratie a été rejeté comme efféminé, alors que la celui de la bourgeoisie était idéalisé comme viril. L'homme ne portait plus de jupe, en aucune circonstance. Mais la femme a été poussée hors de la vie publique. Elle devait désormais prendre soin du ménage et de l'éducation des enfants. Dans la société bourgeoise, il n'y avait plus de possibilité d'expression culturelle pour elle. Il lui restait la mode. La manière de se présenter, l'harmonisation des nuances, est devenu le nouveau langage de celles qui étaient sinon condamnées au mutisme.

Aujourd'hui, alors que les possibilités se rapprochent pour les deux sexes, les femmes ont une large avance sur le sexe masculin. Elles dominent le dialogue silencieux des robes et les essayent dans de nouveaux rôles sociaux. Et l'homme ne le comprend tout simplement pas.